Cilégie
musique :Aldo Brizzi
texte : Bertrand Brouder
opéra
pour deux chanteurs, un comédien et
onze instrumentistes
ce projet a reçu la bourse d’écriture de
l’Association Beaumarchais / SACD
Cilégie, un opéra d’après un projet de Wagner
Cilégie, un opéra d’après un projet de Wagner
Cilégie reprend le
sujet des Vainqueurs, l’opéra
bouddhiste que Wagner voulut
composer toute sa vie. Cet opéra
traite le thème de la liberté en s’appuyant sur deux univers spirituels
qui la placent en leur centre : le symbolisme poétique inventé par Wagner et la
culture bouddhiste.
Dans les livrets de Wagner et dans les contes bouddhistes,
la liberté n’est pas le fruit d’une réflexion, mais survient quand on s’extrait
du flux aliénant des pensées. Pour y parvenir, leurs héros quittent famille et
amis, renoncent à leurs habitudes et à leurs passions et remettent en question
des certitudes lentement acquises et sédimentées. Ils rencontrent alors des obstacles, intimes ou extérieurs,
difficiles à franchir.
Wagner et Les
Vainqueurs
En 1856, Wagner envisagea
d’écrire, en même temps que Tristan et Isolde, un grand opéra d’inspiration bouddhiste, Les Vainqueurs, d’après une légende indienne. Cette légende qui montre un amour apparemment
impossible avait également séduit Wagner parce qu’il était épris de Mathilde
Wesendonk, mariée à un des ses amis, à qui il ne voulait ou pouvait promettre
qu’un amour idéal. Cette situation est également au centre de Tristan
et Isolde.
Wagner souhaitait montrer les conflits, intimes et sociaux, naissant des amours d’un disciple de
Bouddha avec une femme de basse caste. Son opéra se serait achevé par une
« Erlösung », une rédemption, une délivrance. Le bouddhisme resta
jusqu’à sa mort une préoccupation centrale de Wagner. Il évoqua pendant
vingt-cinq ans le projet des Vainqueurs,
sans jamais le réaliser, malgré les prières de Louis II de Bavière. « La
difficulté ici, écrivit-il en 1859, était de rendre apte à la représentation
dramatique et musicale cette personne libérée de toute passion, le
Bouddha. »
Il ne renonça
définitivement aux Vainqueurs qu’en
1881, après avoir écrit Parsifal,
qui contient autant de caractères bouddhistes que chrétiens.
Résumé
* Un bref prologue montre deux
jeunes gens qui vont rendre visite à un moine mystérieux.
I - Une jeune femme désaltère un
jeune voyageur harassé et s’en éprend violemment. Mais celui-ci la quitte pour
devenir disciple d’un maître qu’il a vu en rêve. Elle le suit, mais ne parvient
pas à franchir le passage qui mène à la demeure du maître. Celui-ci vient la
chercher lorsqu’elle hurle de douleur.
II - Une fois arrivée chez le maître, elle ne supporte pas la promiscuité du jeune homme qui a fait vœu de chasteté. Celui-ci veut la consoler, mais il est pris soudain d’un inquiétant accès de faiblesse. Elle part alors à la recherche d’un baume qui pourrait le sauver. Après son départ, le jeune homme apprend que la jeune femme, nommée Cilégie, doit souffrir pour racheter les souffrances qu’elle a causées lors d’une existence précédente.
III - Sur sa route, Cilégie
rencontre plusieurs personnages. Chaque rencontre est une épreuve qui la porte
plus près du rachat des fautes de ses existences passées. Le dernier personnage
lui donne un coup de bâton, puis disparaît. Elle se trouve alors en possession
du baume.
IV - De retour chez le maître,
elle s’alite pour mourir de sa blessure, pourtant infime. Le disciple essaye de
comprendre pourquoi elle doit mourir et demande à passer lui aussi des épreuves
pour la sauver, mais le maître le refuse inflexiblement. La dureté du maître
cause au disciple un choc qui est suivi par un profond apaisement.
* Dans un épilogue, les trois
personnages voguent dans une barque qui glisse silencieusement près de rives
qui se découpent avec netteté.
durée de l’opéra : 90 minutes.
Notes sur le texte
de Cilégie, par Bertrand Brouder
Un jeune couple
Les deux personnages principaux de Cilégie sont un couple de jeunes
gens dont les amours sont contrariées. Le garçon a fait vœu de chasteté pour consacrer toutes ses forces à
une recherche spirituelle auprès d’un maître. Cette réserve du
personnage masculin contraste avec la sensualité de la jeune femme,
nommée Cilégie. Elle parvient cependant au cours de l'opéra à
la maturité spirituelle avant lui. Cette inversion des positions aide le jeune
homme à comprendre qu’il s’était leurré sur lui-même et lui permet d’accéder aux réalités qui lui avaient fait entreprendre son voyage auprès du maître.
Le maître et la parole
Le troisième élément du triangle est un homme plus âgé, un
maître, fort différent des personnages traditionnels
d’opéra. Il reprend le personnage de Bouddha envisagé par Wagner mais n’a pas
de nom dans Cilégie. Il est la
personne sans qui les jeunes gens ne parviendraient pas à accéder à la
liberté. Il est simplement celui qui parle, « le
parleur » : la parole peut
créer, aider, guérir.
Un parleur peut être pompeux, mais ce personnage reste insaisissable. Est-il sérieux, est-il bouffe ? Dans une
des dernières scènes, on peut un instant le croire cruel. « Homme
totalement libre et au-dessus de toutes les passions », selon l’idée de Wagner,
il dépasse toute interprétation par sa seule ambition qui est d’aider à délier
les nœuds qui empêchent de vivre.
Des éléments renvoyant autant à l’univers wagnérien qu’à
la culture bouddhiste
De nombreux éléments du livret de Cilégie évoquent les vocabulaires bouddhiste et wagnérien.
Un bâton, par exemple, intervient à plusieurs reprises. Il fait penser à la
lance de Wotan dans la Tétralogie - symbole des lois qui donnent le pouvoir
mais contraignent - ainsi qu’au bâton avec lequel le maître Chan frappe son
disciple inattentif.
On parle aussi souvent de rêve dans Cilégie. Rappelons-nous la toute première apparition de
Wotan dans la Tétralogie. Elle nous le montre rêvant aux beautés futures du
Walhalla, le château dans lequel les héros morts viendront trouver le repos.
Mais sa femme le réveille pour qu’il confronte ce rêve à la réalité. De son
côté, la tradition bouddhiste propose de multiples interprétations des rêves,
qui peuvent être aussi bien des ouvertures sur le passé que sur l’avenir. Comme
le héros de Cilégie, certains
adeptes bouddhistes ont la certitude qu’ils ne peuvent rêver de leur gourou que
quand celui-ci le décide.
A la croisée des temps
Les rencontres que fait Cilégie sont, symboliquement, d’autres incarnations passées ou
futures de sa propre personne. Les voyages dans le temps s’invitent dans les
voyages dans l’espace. Ils offrent à Cilégie une voie d’introspection qui
débouche sur une liberté inattendue.
par
Elisabeth Traut
Comment écrire un opéra
aujourd’hui sans qu’il soit démodé dès demain ? Richard Wagner s’était
déjà posé cette question et avait répondu à peu près : « en mettant au
cœur de l’oeuvre les préoccupations essentielles et universelles de l’être humain ».
Cilégie partage cette conception en mêlant les thèmes de l’amour et de la
recherche de l’absolu, de la peur de la mort et de la recherche de la liberté,
à un langage musical à la fois neuf et nourri des mémoires des peuples.
Le livret et
la partition frappent par la tranquillité avec laquelle leurs auteurs proposent
des solutions neuves aux problèmes éternels de l’opéra : certains procédés
de narration, de mélange des types de voix ou des rapports des voix à
l’orchestre sont inédits, mais se présentent avec simplicité et évidence. On
sent une modernité apaisée qui passe inaperçue derrière l’œuvre elle-même. La
vitesse à laquelle la musique passe d’une atmosphère à une autre n’est même
plus perçue comme un tour de force. Cette flexibilité est devenue la nature
musicale même d’Aldo Brizzi qui, après avoir été un compositeur d’avant-garde,
a écrit une opérette et composé des chansons pour les stars de la musique
brésilienne.
Cilégie reprend l’idée d’opéra bouddhiste de Richard Wagner,
et les modèles bouddhistes et wagnériens sont présents au moyen d’une multitude
de symboles qui passent et repassent avec la discrétion des bons leitmotivs. On
retrouve l’humour et l’ambiguïté confinant à l’absurde des contes bouddhistes.
Qui est « le parleur », le personnage qui accompagne le jeune couple
de l’opéra et ne chante jamais, comme s’il croyait à une force créatrice du mot
? Est-ce un prophète, un sage, un dieu, un fou, un comédien ? Il faut
qu’il soit tout ceci pour que la narration n’échoue pas sur l’écueil de la
représentation d’un personnage parfait qui n’évolue pas. Mais ce type de
questionnement n’effleure pas les trois personnages de l’opéra. Ils s'accommodent
des situations, auxquelles ils répondent selon les besoins en vers classiques
ou libres, ou même en vers mesurés allitératifs qui évoquent la poésie
Wagnérienne.
Quand deux jeunes gens
confrontent leurs amours à la découverte d’une quête spirituelle, ils se
trouvent contraints à voyager de toutes sortes de manières pour concilier
l’inconciliable. Par la tranquillité de son audace, Cilégie leur promet un apaisement final. Ce Roméo, cette
Juliette, ont vécu mille vies avant de se rencontrer, mais l’amour et le désir
sont toujours incurablement neufs et vivants. Cette vie neuve prend le dessus,
en suggérant ultimement qu’elle peut se fondre dans le principe de vie
lui-même.
Aldo Brizzi,
compositeur
Aldo Brizzi a étudié la composition en Italie Il a fait
ensuite la rencontre décisive de Giacinto Scelci (dont il a enregistré les
œuvres, en tant que chef d’orchestre, dans deux CD qui ont reçu le
« diapason d’or » et le « super choc du Monde de la
musique »). Ses œuvres sont
jouées par de nombreux ensembles européens, comme Orch. phil. de Radio-France,
Orch. Baden-Baden, Ens. de cordes du Berliner Philharmoniker, Orch. symph. de
Bamberg etc.)
La musique lyrique tient une place importante dans son
catalogue. Mambo Mistico (m. en sc.
Alfredo Arias / Théâtre National de Chaillot) a reçu le prix des
souffleurs 2005 de la meilleure musique
lyrique. Chef d’orchestre, il a également dirigé et plusieurs opéras (comme La
rose d’Ariane de Gualtiero Dazzi, m. en sc.
de Stéphane Braunschweig). De 1998 à 2010, il vit au Brésil où il compose pour
les stars de la scène brésilienne, Gilberto Gil, Caetano Veloso, Margarethe Meneses
etc. des chansons qui opèrent une synthèse des moyens de la musique
contemporaine et des apports des musiques populaires. Récemment, il écrit Alter, un spectacle multimédia pour soprano, comédien et
musique électronique.
Cornelia Geiser,
metteur en scène